Le Clan du Lion

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Une lettre Bushido Personnalités 10 raisons...

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Mon frère...
Je suis sur une haute colline, dominant les restes du champs de bataille où nous avons triomphé des scorpions. Il m'est difficile de croire qu'il y a à peine cinq ans, j'étais là où tu te trouves, à lire une lettre de mon frère ainé, écrite sur le champ de bataille, qui contenait les mêmes mots que celle que tu tiens entre tes mains.
Je repense maintenant, aux voix de nos ancêtres, chantant dans mon âme: si belles, si puissantes, si présentes. Elles sont innombrables, un choeur parfait, et leurs mots semblent si effrayants, mais maintenant... Il y a quelque chose de plus. Quelque chose que je ne pouvais trouver, que je ne pouvais exprimer. Du moins jusqu'à cet instant, en écrivant ces mots, pour toi.
La bataille contre les scorpions ne se déroulait pas comme nous l'avions prévu. La vallée offrait peu de couvert de leur flèches, alors qu'ils tenaient la colline sur laquelle je suis maintenant. Alors que ceux de notre première ligne marchaient sur eux, se protégeant avec leur boucliers levés contre la pluie de traits, leurs shugenjas lancèrent un feu destructeur qui repoussa nos hommes, et nombreux furent ceux qui y succombèrent. J'entendis le bruit des os brisés, les cris des hommes, encore plus jeunes que moi, alors qu'ils tombaient au sol, brûlés par ce feu mystique.
Puis le second rang se mit en place, lances levées et lèvres serrées. Les flèches tombèrent alors qu'ils avançaient. Je vis l'un d'eux en être tellement criblé, que sa peau glissait sur son crâne. Un autre tomba en avant, enfonçant plus profondément les traits qu'il avait reçu dans son corps, ses cris résonnant dans mes oreilles. A ce moment j'entendis le général appeler notre bataillon, par pur instinct, je me mis en position, puis regardais à ma gauche la rangée d'hommes qui se tenait là avec moi. Pendant cinq ans, je les avait entrainé et je m'étais battu à leurs cotés; et alors que nous regardions la colline et les corps de ceux qui étaient tombés devant nous, je sentis quelque chose s'insinuer en moi.
C'était la peur. La pure et haïssable peur, me tenaillant les tripes et paralysant mes jambes, me disant de rester là. Elle se répandait en moi, comme une maladie, me murmurant que seul un fou chargerait une colline où des centaines d'autres étaient tombés. Je regardais alors les hommes qui se tenaient à coté de moi, et réalisais qu'ils me regardaient.
Ils me regardaient.
Ils me regardaient.
Soudain, je me souvins qui j'étais. Pas celui que tu connais et que tu vois avec père et mère, mais celui que j'étais pour eux. Et ce que je représentais pour eux. J'entendis l'ordre de charger du général, mais alors même que j'entendais les mots, je sentis autre chose. Je sentis mon âme emplie d'un chant. C'était un chant parlant d'anciennes guerres, et de morts dont nul ne se souviendra jamais. C'était un chant de futilité de souffrance. Tant de morts. Si peut d'accomplit. J'entendis le chant de Akodo Jingawa, et des trois cents hommes qui périrent en tenant un col de montagne afin qu'une poignée d'espions scorpions puissent passer pour empoisonner le second lieutenant de Iuchiban. J'entendis le chant de Matsu Hiruko, et des deux mille Matsus qui chargèrent les Gaijins à la Bataille du Cerf Blanc... tous morts, tués par une magie que nous ne comprenons toujours pas. J'entendis le chant de Akodo Rinujo, et des cinq cent qui chargèrent les Licornes et périrent, tous pour protéger les villages d'une menace qu'ils ne comprenaient pas. Et tous ces chants formaient un grand chant qui disait ceci.
Nous avons saigné.
Nous avons souffert.
Nous avons brûlé.
Et nous avons fait tout cela
Pour toi.

Une centaine de milliers d'âmes, chantant, souffrant, et me regardant. C'est un chant dont les mots sont trop forts pour être entendus par un homme.
Mais je ne suis pas un homme.
Je suis un soldat.
Je regarde les hommes qui sont à coté de moi, qui m'appellent Gunso. Ils suivent mes ordres, ils m'obéissent quand je commande, et me regardent pour trouver le courage qui leur manque. Je ne peux pas leur montrer ma peur. Je ne peux pas leur parler de ma peur. Si ils voient ne serais-ce qu'une trace de ce qui me ravage, nous ne prendront jamais cette colline, et nous rejoindrons nos frères, qui saignent, meurent et hurlent.
Je les regarde, et laisse mes yeux leur faire voir le feu qu'il savent être là. Le chant résonne dans mon âme et dans ma voix alors que je donne mes ordres. Ce n'est pas ma voix qui commande.
C'est le chant.
Ces cent mille voix qu'ils sentent aussi dans leur coeur, résonnant sur le champ de bataille. Ils entendent ce chant, et je vois dans leurs yeux la même lumière que je sens grandir en moi. Le chant emplit l'air et se retrouve dans leur voix. Et soudain, je ne peux plus contrôler mon propre coeur. il bat à tout rompre dans ma poitrine. Mes pieds bougent sans que je le veuille. Mes mains s'agrippent à ma lance, et l'homme à coté de moi porte haut les couleurs de notre bataillon. Nos cris s'unissent en un seul. Et les voix de tous les lions qui ont jamais vécu rejoignent les nôtres.
Et nous chargeons.
Je me souviens du sable glissant sous mes pieds, alors que ma main gauche s'agrippait au flanc de la colline, et que la lance dans ma main droite me servait d'appui. Des hommes tombaient devant et derrière nous, mais à chaque fois que l'un des notre tombait, il y en avait un autre pour le remplacer. Le chant emplissait ma tête. Je sentis deux flèches m'atteindre, mais le chant ne m'abandonnerait pas. La montée dura une éternité. Pour chaque étape que nous franchissions, il me semblait que les scorpion en ajoutaient deux à notre ascension. Nous poussions, nous combattions, nous criions. Je sentais des larmes rouler sur mes joues. Même si je mourrais à ici, si mon âme était brûlée par le feu des scorpions, je savais, à cet instant ci, que je ne revivrai jamais un moment comme celui là. La mort était en face de moi, me regardant, et il y avait des larmes dans mes yeux et un chant dans mon coeur. Et le chant n'était pas plus grand que la peur.
Mais moi, si.
A cet instant précis, je l'étais.
Nous l'étions tous.
Nous avons heurté le mur de scorpions comme une tempête. Il jettèrent leurs arcs et prirent leurs épées, et le métal trancha la chair, et des hommes tombèrent, étreignant leurs blessures. Les scorpions reculèrent, et nous avançions. Je sentis le chant se frayer un chemin jusqu'à mes lèvres, et les cris de mes hommes étaient comme un écho au mien. Le chant frappa les scorpions comme le feu des shugenjas. Mon épée trancha trois fois avant qu'une flèche n'atteigne mon bras. Un cri s'échappa de mes lèvres tandis que je chargeait le scorpion, et je vis la peur faire briller ses yeux comme les écailles d'un poisson. Un coup. Il tomba. Je ne m'arrêtais pas.
Plus de sang, plus de corps. Les shugenjas jetèrent leur feu à nouveau, tuant la moitié de mes hommes. Mais la ligne des scorpions se brisa: ils étaient divisés. Les hommes derrière nous chargèrent sur la colline, de même que ceux des flancs gauche et droit. Les scorpions tombaient sous nos lames. Et aussi soudain qu'il était venu, le chant disparu.
Disparu.
Je tombais au sol alors que le carnage continuait autour de moi. Je sentis des mains sur mes épaules, et de l'eau sur mes lèvres. J'entendis une voix qui disait "Buvez ceci", et je regardais. Je vis Matsu Ujinoko à genoux au dessus de moi, des larmes dans les yeux. "Reposez vous maintenant".
J'ai secoué la tête. "Non, appelez un Ikoma. Maintenant".
C'était il y a cinq minutes.
Je lui ait récité tout cela alors qu'il écoutait et hochait la tête. Il se souviendra de mes mots,je le sais. Ensuite, il les mettra sur le papier, pour que tu puisses les lire.
J'ai presque fini maintenant. Je suis presque prêt à rejoindre le chant qui m'a amené ici. Presque.
J'ai une dernière chose à dire. Un dernier présent pour toi, mon frère. Tu est presque prêt à devenir un homme. Presque prêt. Mais même après cette cérémonie, , tu n'auras pas tout fait. Non. Il y a bien plus. C'est un bien plus long voyage que cela.
Le chant.
Un jour, toi aussi tu ajouteras ta voix au choeur de nos ancêtres. Quand tu le feras, tu te sentiras comme je me sens maintenant. La voix que tu apporteras te semblera faible et inutile en comparaison de cet immense choeur qui chante pour nous d'au delà de ce monde de chair. Mais n'oublie jamais ceci. Aucun homme n'aurait pu parvenir au sommet de cette colline. Ce que j'ai fait aujourd'hui est plus grand que ce que j'ai jamais fait, et c'est parce que les hommes qui étaient à coté de moi ne voulaient pas me montrer leur peur. Il m'aimaient trop.
Quand tu apporte ta voix au chant, cela ressemble au crissement du criquet. Mais quand tu chante avec...
Oh, mon frère...
Il n'y a aucun son dans le monde qui puisse y être comparé.
Je m'en vais maintenant. Mon dernier souffle.
Je suis si fier de toi.
Ne m'oublie pas.
Je t'attends
Et je veille
Sur toi...